SAN GHJUVANNI BATTISTU (fin du 11éme
siècle)
Je
ne suis pas historien, je laisse à
d’autres plus cultivés que moi
le soin d’écrire les pages de
l’histoire. Mais en tant que corse,
il me semble nécessaire d’essayer
de réhabilité l’esprit
des « GHJUVANNALI » car un tel
acharnement contre eux prouve que ce mouvement
populaire et religieux porte encore un pouvoir
puissant de contagion. De plus il fait partie
de notre histoire enfouie, pour ne pas dire
oubliée volontairement, dans les manuels
scolaires et les guides à usages touristiques.
En voici la présentation qui est faite
dans certains manuels dont, je tairai le nom
de peur de leurs faire de la publicité.
« les cathares corses, les giovannali
»
Mouvement d’une confrérie de
franciscains dissidents, qui prit naissance
à Carbini au milieu du 14éme
siècle. Le mouvement se caractérisait
par son opposition, au nom de la pauvreté,
à tout ordre établi. L’affaire
semble avoir été prise au sérieux
par l’évêque d’Aléria
qui les excommunia. Le mouvement dégénéra
en révolte. Taxé d’hérésie,
il fut réprimé dans la violence.
Cela me semble très réducteur
pour un mouvement religieux et populaire qui
dura environ cinquante ans.
Je vais donc essayer de donner, aux internautes
corses et non corses une explication plus
juste de ce mouvement qui fut accusé
de sorcellerie et voué aux flammes
de l’enfer.
Les environs de Carbini enneigés
(au premier plan le toit de l'église
San ghjuvanni Battistu)
I GHJUVANNALI
Communauté religieuse fondée
à Carbini (Alta rocca) en 1352. Son
fondateur un moine franciscain : le frère
Giovanni Martini. Certains considèrent
qu’il est le descendant spirituel des
Cathares (une précision, les Cathares
viennent du manichéisme ancien alors
que les ghjuvannali représentent ce
que les historiens appellent la queue de la
réforme de Saint François).
Leur doctrine sociale et religieuse est basée
sur la pauvreté et le don de soi. Les
ghjuvannali disaient que l’on ne devait
pas avoir de biens propres et que tout devait
être mis en commun. Afin de démontrer
leur dévotion, ils accomplissaient
des pénitences exemplaires.
Ils étaient hostiles à la hiérarchie
de l’église, qu’ils jugeaient
à l’opposé du message
christique. Leur spiritualité, leur
sens religieux et social leur permit d’essaimer
dans presque toute la Corse. Ils furent massacrés
à Carbini et finalement exterminés
prés de Novale. La légende veut
que les derniers ghjuvannali fussent brûlés
à Ghisoni, au pied de deux montagnes
appelées Kyrié Eleison et Christie
Eleison.
Ruines de l'église SAN QUILICU
Apres cette présentation,
revenons en arrière pour présenter
le contexte de l’époque. Nous
sommes au milieu du XIV siècle dans
une corse médiévale où
règne la famine, la maladie (la peste
de 1347 fera 25 millions de morts en Europe)et
la terreur des guerres intestines. Le peuple
est exacerbé par toutes ces souffrances.
C’est dans ce contexte que s’est
constitué en 1352 à Carbini,
petit village de l’alta rocca, cette
communauté religieuse. Le frère
franciscain ghjuvanni Martini en est le fondateur.
Ses efforts portèrent leurs fruits
car la confrérie gagna en puissance
au point d’inquiéter l’église
et les seigneurs locaux. La doctrine des ghjuvannali
étaient basée sur la pauvreté
absolue, l’humilité et le don
de soi. Les fidèles étaient
recrutés dans toutes les classes sociales
et le fait que les femmes et les enfants soient
admis aussi dans la confrérie était
mal vu à cette époque moyenâgeuse.En
1354 les ghjuvannali furent excommuniés
sur ordre de l’évêque d’Aléria.
En 1362 une mini croisade est levée
par le pape Urbain V qui réside en
Avignon. Il envoie en Corse un commissaire
spécial en vue de rétablir l’hortodoxie.
Devant l’échec de sa mission,
le pape Innocent VI décide en 1363
de mettre sur pied une véritable croisade.
Cette fois la persuasion fait place à
la terreur. Un grand nombre de victimes montent
sur les buchers ou meurent les armes à
la main refusant d’abjurer leur foi.
Ainsi à Carbini l’église
San Quilicu est détruite (voir la photo
il ne reste que les fondations).
Les ghjuvannali fuient vers la piève
d’Alésani en castagniccia. En
1364 malgré l’assaut des troupes
pontificales l’hérésie
n’est pas extirpée et en 1369
et 1372 de nouveaux inquisiteurs sont envoyés
dans l’île par le pape Grégoire
XI. Ainsi les malheureux ghjuvannali furent
pourchassés avec férocité
dans toute l’île et massacrés
sans pitié. Ce fut une lutte fratricide
car hélas certains corses n’hésitèrent
pas à les pourchassés et les
tués.
Les historiens s’accordent pour dire
que la Corse vécut la période
la plus difficile de son histoire. Misère,
famine, maladies et impôts. La population
de l’île vivait à cette
époque une tragédie. Les ghjuvannali
tentèrent de donner au peuple l’espoir
tant au niveau spirituel que matériel.
Ils secouèrent le joug de l’église
et des seigneurs. Ils montrèrent une
autre voie que celle imposée. Mais
comme les Cathares et les templiers leur destin
fut tragique.
Le Campanile (à l'origine il
possèdait 4 ouvertures géminés
supplémentaires)
Les ghjuvannali étaient ils
les ancêtres des socialistes et même
des communistes ? Etaient ils les adorateurs
de Satan comme l’ont écrit certains
chroniqueurs de l’époque ?
L’accusation
Monseigneur Raymond Evêque d’Aléria
excommunie la communauté des Ghjuvannali.
Le frère Ristori de Carbini est accusé
de proclamer des sentences qui sentent l’hérésie
et qui mènent à l’hérésie.
On attribut à Ghjuvanni della Grossa
( né en 1388 à Grossa environs
de Sarté) les écrits suivant.
« Leur loi affirmait que tout était
commun entre eux, les femmes, les enfants
et les biens. La nuit ils se livraient à
des pratiques immorales et sataniques ».
Ces lignes ne sont pas de ghjuvanni della
Grossa mais de Antoine Ceccaldi chroniqueur
né en 1521.c’est à dire
160ans après. On peut apprécier
la calomnie et la bêtise qui traverse
le temps
et continu à faire des ravages dans
les esprits faibles. Hier comme aujourd’hui.
J’espère à travers ces
quelques lignes avoir réussi à
enlever les doutes de certains. Et bien modestement
en avoir éclairés d’autres
sur eux et notre Histoire.
Avant de relater la légende je laisserai
le mot de la fin à Madame Dorothy Carrington
qui n’est plus à présenter.
« Ce courant de pensée révolutionnaire
est toujours dans l’esprit des Corses.
C’était un mouvement dirigé
contre les féodaux et les grands patrons
de l’Eglise. C’était tout
à fait en harmonie avec la pensée
corse. Ils furent vaincus et massacrés
par une croisade envoyée par la papauté.
Mais la partie politique du mouvement qui
était inspirée des ghjuvannali
et dont Sambucucciu d’Alandu fut le
prolongement a partiellement réussi.
Les féodaux ont été effectivement
écrasés. La Corse est l’un
des premiers pays d’Europe qui s’est
libéré de la féodalité
! Voilà encore l’originalité
de la Corse ! »
KYRIE ELEÏSON
La légende
Elle prétend que les derniers
ghjuvannali furent brûlés sur
les hauteurs de Ghisoni. Un prête
entonna l’office des morts et la foule
repris en chœur : « Kyrie eleison
Christie eleison » . Du bûcher
se serait alors envolées deux colombes.
Tournoyant au dessus du brasier avant de
partir. Les deux montagnes surplombant le
lieu du supplice furent appelées
: « Kyrie Eleison et Christie Eleison
»
SAN GHJUVANNI BATTISTU (vue sous
un autre angle)