UNE TRADITION VIVANTE
Ancrée jusque dans le tréfond
de l' âme corse, la foi religieuse est
l' une des valeurs auxquelles les insulaires
attachent le plus d' importance. L' image
de la Corse a longtemps été
associée à celle de la Mama,
toute de noir vêtue, se signant pieusement.
Les aspects spectaculaires des traditions
ancestrales, maintes fois évoqués
par l' écriture et par l' image, ne
doivent pas éclipser la foule de processions
et coutumes qui entretiennent la foi, dans
la Corse profonde.
Cette Corse authentique, mystérieuse
et intime, se révèle pleinement
durant la semaine sainte. Dans la semaine
de Pâques, de nombreuses processions,
denses et hautes en couleurs, sont organisées
dans la plupart des villages. La plus réputée
est aussi la plus impressionnante: le Catenacciu
de Sartène. Un pénitent anonyme,
vêtu d' une robe et d' une capuche rouge,
vient expier ses pêchés en traînant
à travers les ruelles de la cité,
une lourde croix et des chaînes attachées
à ses chevilles.
La semaine sainte est célébrée
avec la même ferveur par de nombreuses
confréries, notamment à Bonifacio,
la ville citadelle accrochée au dessus
de la mer, à une vertigineuse falaise
de craie. Le vendredi saint, les cinq confréries
de la ville, arborant chacune leurs insignes,
leurs tenues de cérémonie, et
de somptueuses sculptures en bois peint, défilent
pieusement à travers les ruelles jusqu'à
l' église paroissiale.
La Semaine Sainte donne lieu, à
travers toute la Corse à des cérémonies
religieuses relatant le temps pascal. Les
plus remarquables sont les processions des
jeudis et vendredis saints jours durant lesquels
de nombreuses villes et villages en commémorent
les événements.
Les confréries religieuses
de Corse possèdent, dans leur grande
majorité, une histoire séculaire.
Les plus anciennes, nées dans la mouvance
franciscaine du Moyen Âge, sont les
héritières des "battuti"
(flagellants). Les autres peuvent s' apparenterà
trois générations distinctes
: - celle du concile de Trente, - celle de
la Révolution française , -
celle de 1870 à nos jours. Très
tôt, les prédications franciscaines
reçurent un accueil favorable en établissant
des correspondances simples entre les actes
des saints et la vie de chacun. Ce grand mouvement
donna naissance à de nombreuses compagnies
de "battuti". Instituées
vers 1260, elles se développèrent
au XIVe siècle. Leurs membres, pénitents,
allaient en procession de village en village,
en se fouettant mutuellement.
Le pape Clément VIII mit fin
à ces pratiques. Puis, le concile de
Trente (1545 à 1563) fixa quelques
règles nouvelles dans l' organisation
des confréries. L' impulsion de ce
mouvement fut sans doute donnée en
1574 par saint Alexandre Sauli, évêque
et apôtre de la Corse. Au XVIIIe siècle,
chaque commune de Corse possédait au
moins une confrérie.
Supprimées par une loi du
18 août 1792, elles réapparaissent
après le Concordat. Elles sont tolérées
sous l' Empire et plusieurs se reconstituent
à la Restauration. De la fin du XIXe
siècle au début du XXe, les
compagnies sont florissantes, puis nombre
d' entre elles disparaissent.
En 1957, Mgr Llosa, évêque
d'Ajaccio, promulgue une ordonnance destinée
à les réorganiser. Et Mgr Lacrampe,
actuel évêque d'Ajaccio, leur
donne une impulsion religieuse nouvelle.
DE LOCALITES EN LOCALITES
A Bonifacio : Ce sont les 5 confréries
dont les membres marchent en processions à
travers la ville, empruntant des routes différentes,
pour se réunir dans l' église
paroissiale où ils reçoivent
la bénédiction de l' insigne
relique de la Sainte Croix. Chaque confréries
porte statues de saints sur des châsses
en bois, de style baroque, qu 'illuminent
des flambeaux et des lanternes.
A Calvi : Les membres des confréries
de saint Antoine et de saint Erasme, étant
en cagoule et pieds nus marchent en procession
à travers la cité et dans l'
enceinte de la citadelle, " a Granitula,
décrivant une spirale qui s' enroule
et se déroule est effectuée
en différents points du parcours.
A Corte, le jeudi-Saint au soir,
c' est la procession du "Christ roi"
, à travers les rues de la vieille
ville illuminée par les chandelles.
A Erbalunga, près de Bastia,
le matin du Vendredi Saint, la procession
de la "Cerca" se déroule
sur plus de 12 km s, d' église en église
à travers les hameaux de Brando. Le
soir, les pénitents en cagoule réalisent
également "a Granitula".
LE CATENACCIU
C' està Sartène que
se déroule la plus connue des processions
du vendredi saint. Un pénitent enchaîné,
portant une cagoule et chargé de la
croix, effectue, à travers la ville,
sur un tracé tout en pente, car la
procession nocturne du " Catenacciu,
symbolise la montée du Christ au calvaire.
Seul le curé de la paroisse
connaît l' identité du pénitent.
Vêtu d' une aube et d' une cagoule rouges,
il porte sur ses épaules une croix
en chêne massif de 34,5 kg et traîne
une chaîne de 17 kg sanglée à
sa cheville droite. Pendant deux heures, suivant
un parcours de près de deux kilomètres,
il incarne le Christ et refait son calvaire.
Trois jours avant, le pénitent
s' est enfermé dans une cellule monacale
du couvent des Saints Come et Damien, où
il médite, lit la Bible et prie. Le
Vendredi saint à 21 h, le " catenacciu
" (littéralement "homme enchaîné")
arrive à l' église Sainte-Marie
(Santa Maria Assunta), où les membres
de la confrérie le chargent de la croix
et l' enchaînent devant l' autel. A
21 h 30, la procession sort de l' église.
Les membres de la confrérie
forment une haie d' honneur et chantent sans
interruption le vieux chant italien corsisant
de pénitence: "Perdono, mio Dio".
Comme le Christ, le catenacciu doit chuter
trois fois sur la route qui le mène
au "Golgotha". La première
chute se déroule devant l' oratoire
Sainte-Anne, l' église paroissiale
de Sartène au XVIIIè siècle.
Toute la ville récite le "Notre
Père" et le "Je vous salue
Marie" pendant que le pénitent
reste couché sur le sol.
La seconde chute s' effectue sur
la place Porta, au pied de l' église
Sainte-Marie. A mi-parcours, le catenacciu
est soulagé de son fardeau par Simon
de Cyrène, un pénitent blanc,
celui qui a aidé le Christ à
porter sa croix. Avant la troisième
chute et le retour vers Sainte-Marie, toute
la procession fait une halte à l' église
Saint-Sébastien. Le catenacciu s'y
recueille et prie agenouillé devant
l' autel, au pied duquel se trouvent un Christ
gisant et une Vierge drapée de noir.
Après la troisième
et dernière chute, les pénitents
rejoignent le parvis de l' église paroissiale.
Là, les pèlerins écoutent
le sermon et reçoivent la bénédiction
pascale. Puis tous regagnent l' église
Sainte-Marie pour s'y recueillir. Agenouillés
ou couchés devant le maître-autel,
les pénitents devront attendre que
tous les pèlerins aient baisé
un à un le Christ gisant. La cérémonie
désormais close, on ramène le
catenacciu et Simon de Cyrène dans
leurs cellules. La foule mettra plus d' une
heure à défiler dans l' église.
L' origine de la procession serait
liée à l' arrivée sur
l' île au XIIIè siècle
des moines franciscains qui ont introduit
les "chemins de croix" dans la culture
insulaire. Mais le véritable coup d'
envoi se situerait plutôt aux XIVè
et XVè siècles. La Corse était
alors sous l' influence de l'Aragon où
étaient répandues les pratiques
religieuses pénitentielles. L' apparition
en Corse des confréries de pénitents,
au XVè siècle, n'a fait que
renforcer la tradition.
La procession du " Catenacciu
" a traversé les âges avec
une constance déroutante. Créée
en 1710 à Sartène, la confrérie
"A compagnia del Santissimo Sacramento",
qui avait disparu en 1920, a été
ravivée en 1990.
LA RELIGION : FIBRE
DE LA CORSE
La Granitola de Calvi est également
très réputée. Les confréries
de Saint Antoine et Saint Erasme effectuent
chaque année cette procession pénitentielle
en marchant pieds nus et couverts de cagoule.
La cité Grecque de Cargèse
possède également des traditions
très fortes et le rite orthodoxe y
est perpétué depuis les temps
anciens. Cette citée blottie au fond
d' un golfe magnifique, possède une
particularité: l'archimandrite Florent
Marchiano officie dans les deux églises,
l' une de rite catholique, l' autre orthodoxe.
Au delà des cérémonies
traditionnelles qui ponctuent la semaine sainte,
chaque village de l' île de beauté
est placé sous la protection d' un
saint patron, que l' on fête une fois
dans l' année. L' été,
après les cérémonies,
le profane rejoint le sacré, lors de
bals populaires scellant les retrouvailles
de la communauté villageoise, séparée
durant la saison hivernale.
La Corse compte une multitude d'
édifices et de monuments religieux,
témoignages de la ferveur qui habite
la région. Chapelles perdues dans la
montagne, édifices d' une grande valeur
architecturale, fresques et sculptures héritées
du passé, servent d' agréable
prétexte à une immersion dans
le sacré et le mysticisme.